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L’affaire renfermait d’une manière implicite tous les graves pro blèmes que soulève juridiquement la matière photographique, et comme telle, elle était nouvelle autant que délicate à résoudre : Elle est venue devant la première chambre du Tribunal civil de la Seine, présidée par M. Planteau. Les plaidoiries des avocats sont actuellement terminées : — Me Paul Morel, au nom de M. Reu- tlinger, a défendu avec une logique éloquente la thèse des droits du photographe. — Me Decori a soutenu très brillamment que le droit de reproduction était la propriété des modèles, et qu’en conséquence, M. Mariani, autorisé régulièrement par eux, n’était nullement en faute. — L’avocat de la République, dans un système séduisant, a établi une distinction, peut-être subtile, en déclarant que ce droit appartenait tantôt à l’un, tantôt à l’autre, suivant les cas : — Si les portraits ont été commandés et si le photographe a livré les épreuves, c’est-à-dire les originaux, le droit d’auteur et le droit de reproduc tion, qui en est l’attribut pécuniaire, se fixent immédiatement sur la tête du commettant. Le contrat intervenu entre les parties est un louage d’industrie; le modèle reste seul propriétaire. — Si au con traire les photographies ont été exécutées gratuitement, le photographe n’a créé l’œuvre d’art que pour l’exploiter et, en vertu du droit commun, il en a la propriété ab initia avec le droit de reproduction. Cette thèse de M. le substitut Drouard peut entraîner des consé quences fâcheuses; — et, bien qu’à l’appui de son raisonnement, il m’ait fait l’honneur de rappeler quelques doctrines émises dans mon ouvrage, la Photographie et le Droit (t), publié en 1892, tout en recon naissant la valeur juridique de ses prémisses, je ne saurais me rallier entièrement à ses conclusions. Le Tribunal avait remis à quinzaine pour statuer; il a sursis à M. Armand Silvestre : « ... Alors, c’est un simple dépôt que remet entre nos mains, pour prix de quelques exemplaires immuables, hélas! pas comme durée, le bienfaiteur qui nous portraiture sur sa demande et qui ne nous demande lui-même aucune auto risation pour nous exhiber à sa vitrine en une compagnie douteuse, que nous sommes sûrs, au moins, de ne pas rencontrer dans votre belle publication? » Non! je trouve ça étourdissant et tout à fait bouffon... » Enfin, cette dernière consultation, de M. Jules Claretie : « ... Je trouve parfaitement abusive et inadmissible la prétention d’un photo graphe à regarder comme sa propriété absolue un portrait, qu’il empêcherait désor mais d’être reproduit... » Et quelle est cette confiscation soudaine de nos traits parce qu'ils auront été saisis par l’objectif? Comment? je ne pourrai pas — précisément parce que j’ai été photographié et que telle ou telle photographie me plaît — la communiquer à un journal illustré, la donner à un ami pour qu'on la reproduise? Mon visage ne m'appartiendrait plus parce que je l’aurais là sous forme de carte?... » (1) Cf. Armant Bigeon. La Photographie et le Droit, Paris, Ch. Mendel, éditeur, 118, rue d’Assas.