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GENESE DU REQUIEM HECTOR BERLIOZ RACONTE... JE VAIS VOUS NARRER LES PERIPETIES QU’A CONNUES CETTE MUSIQUE QUE JE CHERIS ENTRE TOUTES CAR, "si j'etais menace de voir brüler mon ceuvre entiere, moins une partition, c'est pour cette Messe des Morts que je demanderais gräce. En 1836, M. de Gasparin etait ministre de l'Interieur. II fut du petit nombre de nos hommes d'Etat qui s'interesserent ä la musique, et du nombre plus restreint encore de ceux qui en eurent le sentiment. Desireux de remettre en honneur en France la musique religieuse dont on ne s'occupait plus depuis longtemps, il voulut que sur les fonds du departement des Beaux-Arts, une somme de trois mille francs fut allouee tous les ans ä un compositeur frangais designe par le ministre, pour ecrire, soit une Messe soit un Oratorio de grande dimension... Je vais commencer par Berlioz, dit-il, il faut qu'il ecrive une messe de Requiem, je suis sür qu'il reussira. Je sollicitai une audience du ministre, qui me confirma l'exactitude des details qu'on m'avait donnes. Je vais quitter le ministere, ajouta-t-il, ce sera mon testament musical... ... Une fois arme de mon arrete, je me mis ä l'oeuvre. Le texte du Requiem etait pour moi une proie des longtemps convoitee, qu'on me livrait enfin, et sur laquelle je me jetai avec une sorte de fureur. Ma tete semblait prete ä crever sous l'effort de ma pensee bouillonnante. Le plan d'un morceau n'etait pas esquisse que celui d'un autre se presentait; dans l'impossibilite d'ecrire aussi vite, j'avais adopte les signes stenographiques qui, pour le Lacrymosa surtout, me furent d'un grand secours... J'ai, en consequence, ecrit cet ouvrage avec une grande rapidite et je n'y ai apporte que longtemps apres un petit nombre de modifications. L'arrete ministeriel stipulait que mon Requiem serait execute aux frais du gouvemement, le jour du Service funebre celebre tous les ans pour les victimes de la revolution de juillet 1830... Quand le mois de juillet, epoque de cette ceremonie, approcha, je fis copier les parties separees de chceur et d'orchestre de mon ouvrage, et, d'apres l'avis du directeur des Beaux-Arts, commencer les repetitions. Mais presque aussitöt une lettre des bureaux du ministere vint m'apprendre que la ceremonie funebre des morts de juillet aurait lieu mais sans musique et m'enjoindre de suspendre tous mes preparatifs... ... FOU DE RAGE, VOICI CE QUE J'ECRIVAIS A MON PERE, LE DOCTEUR LOUIS BERLIOZ, LE 29 JUILLET 1837 : Cher pere, ... on vient me chercher, on me demande si je veux ecrire cet ouvrage, je fais mes conditions (musicales), on les accepte ; on me promet par ecrit l'execution au 28 juillet; je finis ma musique, tout est pret, et on refuse d'aller plus loin... ... N'importe ! le Requiem existe, et je vous jure, mon pere, que c'est quelque chose qui marquera dans l'art; je viendrai bien ä bout, töt ou tard, de le faire entendre... ... Je commencjais ä perdre patience, quand un jour, ... le canon des Invalides annonpa la prise de Constantine. Deux heures apres, je fus prie en toute häte de retoumer au ministere. M. XX... venait de trouver le moyen de se debarrasser de moi. Il le croyait du moins. Le general Damremont ayant peri sous les murs de Constantine, un Service solennel pour lui et les soldats franqais morts pendant le siege allait avoir lieu dans l'eglise des Invalides. Cette ceremonie regardait le ministere de la Guerre, et le general Bemard, qui occupait alors ce ministere, consentait ä y faire executer mon Requiem. Telle fut la nouvelle inesperee que j'appris en arrivant chez M. XX... ... A peine la nouvelle de la prochaine execution de mon Requiem dans une ceremonie grandiose et officielle comme celle dont il s'agissait fut-elle apportee ä Cherubim, qu'elle lui donna la fievre. Il etait depuis longtemps d'usage qu'on fit executer l'une de ses messes funebres (car il en a fait deux), en pareil cas. Une teile atteinte portee ä ce qu'il regardait comme ses droits, ä sa dignite, ä sa juste Illustration, ä sa valeur incontestable, en faveur d'un jeune homme ä peine au debut de sa carriere et qui passait pour avoir introduit l'heresie dans l'ecole, finita profondement. Tous ses amis et eleves, Halevy en tete, partageant son depit, se mirent en course pour conjurer l'orage et le diriger sur moi; c'est ä dire pour obtenir qu'on depossedät le jeune homme au profit du vieillard. MAIS PERSONNE NE CEDA et le bon Cherubim, qui avait voulu dejä me faire avaler tant de couleuvres, dut se resigner ä recevoir de ma main un boa constrictor qu'il ne digera jamais. Le jour de son execution, dans l'eglise des Invalides, le 5 decembre 1837, devant les princes, les ministres, les pairs, les deputes, toute la presse franqaise, les correspondants de presses etrangeres et une foule immense, j'etais necessairement tenu d'avoir un grand succes; un effet mediocre m'eut ete fatal, ä plus forte raison un mauvais effet m'eut-il aneanti.