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101 TABLEAUX noxe du printemps. Il règne dans ce lac des vents fouterreins qui excitent une tempête au moment qu’on y penfe le moins. Ainfi rien de bien merveilleux dans celle qui manqua d’en gloutir la barque de Gesjler. Ce Baillif Autrichien s’étoit embarqué a Fluelen avec fes fatellites & Ton prifonnier, il vouloit profiter du lac jufqu’à Brunnen, ( village à une lieue de Schweitz & a trois de Fluelen ) & de-la conduire Tell parle pays deSchweitz dans fon château de Kujfnacht; c’eft-la où Tell devoit finir fes jours, dans une tour ténébreufe. En s’avançant dans le lac, du côté de la pointe qu’on appelle A chfen, il s’éleva un vent fi furieux , que les flots fe croi- foient fur la barque &c menaçoienr de l’engloutir. Dans ce péril extrême, l’un des domeftiques du Baillif, qui voyoit que le prifonnier étoit un homme vigoureux & qui favoit qu’il pafioit pour un bon batelier, fupplia fon maître de le faire délier. Le farouche Gesfler y confentit. Tell, placé au gouvernail, travailla couragcufcment, mais il ne perdoit pas de vue fon arbalète & fon carquois qu’on avoit laiflés auprès du gouvernail, & il épioit de l’œil l’inftant favorable de fauter hors de la barque. Ayant découvert un rocher large & plat, il crut qu’il pourroit le franchir &: s’échapper enfuite par la fuite ; il crioit en même-temps aux rameurs de redoubler leurs efforts jufqu’â ce qu’ils euflent doublé ce rocher qui s’avançoit dans le lac, leur difant que C’étoit l’en droit le plus périlleux de la navigation. Et quand il fut prêt de cette pointe, comme il étoit fort & nerveux, il tourna le gouvernail contre la roche, faifit fon armure, s’élança fur le rocher, &: repouffa la barque dans les flots par l’élan qu’il avoit pris pour en fortir. Il gagna précipitamment la montagne qui n’étoit pas encore couverte de neige.