3 66 TABLEAUX leurs richeiïes un ufage ( 14 ) condamnable, leur nom bre eft très-petic, & ces perfonnes ne feroient pas moins de mal fi elles ne pofledoient que la dixième partie de leur bien. Si d’autres portent le faite dans les bâtimens 6c dans quelques autres objets à un excès extravagant, cette efpece de folie eft d’autant plus excufable qu’elle fait ga- gnernombre d’ouvriers; elle eft une preuve des plus fortes de l’opulence de cette ville , puifque depuis long-temps on ne s’eft pas apperqu qu’elle y ait été ruineufe. On doit encore rendre cette juftice aux Citoyens riches de cet Etat, qu’il eft très-rare d’en trouver qui oppriment leurs concitoyens , ou qui les méprifent. Il eft même proba ble qu’ils en fouffrent plus qu’ils ne les font fouffrir , comme cela eft naturel dans un Gouvernement plus popu laire qu’ariflocratique, &l comme cela étoit autrefois dans Athènes. (14) On raconte qu’un pavfan du Canton de Bâle , étant venu payer à un riche Négociant de cette ville le cens annuel qu’il lui devoit, 8c ayant ap- perçu fur la cheminée un oignon,s’avifa de le prendre 8c de le mâcher, pendant que le rentier , aflis à fon bureau ,lui expédioit la quittance. Celui-ci s’étant levé pour la lui donner, demande au payfan ce qu’il mâchoit ; peu de chofe , lui répondit-il, un oignon que j'ai trouvé fur votre cheminée. Ah ! malheu reux ! que fais-tu? Sais-tu que cet oignon eft un oignon de tulipe qui me coûte plus de vingt louis d’or. — Le payfan interdit ne favoit que répon dre ; il ne pouvoit fe mettre dans la tête qu’un Marchand de Bâle don nât vingt louis pour un oignon ; il n’avoit jamais même entendu dire qu’il y eût dans l’Univers des oignons de ce prix. Que fairei 1 L’oignon ineftima- ble étoit à moitié mâché, & à moitié avalé. Le Commerçant qui grinçoit des dents , en fut quitte pour fa folle curiofité. Il fe fût fait plus d’honneur, s’il eût appliqué cet argent à fecourir le concitoyen indigent. Mais voilà à quoi peut mener l’excès des fantaifîes , Jorfqu’on roule au milieu de l’or, La trop grande opulence parmi quelques individus d’une République, leur peut faire oublier les vertus qui caraêlérifoient leurs ancêtres.