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XVI qu’il convient d’attribuer le résultat de la diversité des physionomies, modifiées par mille et mille circonstances aux conséquences desquelles, la plupart du temps, l’individu n’a pas la liberté de se soustraire. L’homme social est un être particulièrement subjectif, et il ne saurait échapper aux influences du milieu où il vit. La façon qui lui demeure aux yeux de la postérité s’est trouvée lui être imposée; elle est ce qu’elle est, et l’homme ne représenterait rien si son accoutrement était en dehors des choses de son temps. La robe arménienne adoptée un instant par Jean-Jacques ne saurait entrer dans l’histoire du costume de l’Europe du dix-huitième siècle. Cette subjection de l’individu social à des collectivités dominantes a produit d’étranges con trastes dans la filiation du costume européen depuis le moyen âge; c’est naturellement en obser vant le costume des gens des deux sexes faisant partie des élégants, c’est-à-dire les rois ou les esclaves de la mode, que l’on juge le mieux des évolutions successives, qui ne se sont nullement accomplies, dans la majeure partie des cas, en raison de certaines lois constantes se basant sur la commodité des choses, par exemple sur l’amélioration de la coupe des vêtements, ou autres motifs de cette sorte. Dans le domaine de la mode, le caprice est rapide, et le progrès est d’autant plus lent que, parfois, le caprice est rétrograde. Il n’est donc point de règle sûre pour y conduire l’induction, et il n’existe pas de boussole pour guider sur les surfaces de cette nature, en remontant ou en descendant le cours du temps. Tantôt il semble qu’une certaine sagesse mène les choses, puis et peut-être plus souvent encore, le gouvernail est aux mains de la franche folie, portant, la plupart du temps, le masque de l’anonyme; de façon que nul ne sait vraiment qui crée le courant auquel chacun obéit, l’homme social n’ayant pas le choix, et le « il faut faire comme les autres » étant la devise indiscutable, par excellence. Molière conseille aux gens de se laisser habiller par leur tailleur; mais d’où viennent au tailleur les nouvelletés par lesquelles il trouble sans cesse la possession de l’héritage des choses qui si souvent ont pu paraître définitives, et qui ne le demeu rent jamais; et combien de fois est-ce le faquin qui décide de l’habit qui sera porté par l’hon nête homme? Quant à la singularité offerte par le spectacle des transformations successives dans une même filiation, il suffira ici de quelques rapprochements pour la faire ressortir, en restant dans le domaine des élégances françaises. Aux quatorzième et quinzième siècles, les dames portent la cotte-hcii'die, une robe traînante étroitement lacée par derrière, moulant les seins et faisant valoir les hanches; les manches ajustées ont de longues pentes s’étalant sur le sol; cette robe, sans linge apparent, marche avec Yescoffion, le couvre-chef en bourrelet. Pendant plus d’un siècle les plus furieux emporte ments des prédicateurs ne prévalent pas contre cet accoutrement, qui ne fit en quelque sorte que s’aggraver, lorsque la robe fut lacée par devant, en laissant transparaître par une ouverture prolongée, à peine voilée, une partie des seins et du buste, que l’œil considérait par ce que l’on appelait la fenêtre d’enfer. A peu près cent ans après on se trouve en face de dames affublées de la cage du vertugadin en tambour, surmonté par l’armature du corset busqué; les man ches sont ballonnées par des gigots; on porte un caleçon emprunté aux hommes, et la fraise godronnée ou la collerette en éventail. Au dix-septième siècle, la vertugade perd son caractère, se trouve réduite au rôle d’un polisson, devient la criarde, et tout à coup, apparaissent les énormes cerceaux des paniers à coudes et en gondoles, des pseudo-bergerades du dix-huitième