— 126 — Quoi qu’il en soit, bon nombre de pessimisles s’évertuent à trouver dans le canal de Suez le germe d'une prochaine catastrophe orientale, et ils expliquent ainsi leur appréhen sion : Depuis quelques années le khédive et son gouvernement, poussés — c’est notre avis — par le désir très-naturel et très-légitime de se tenir à la hauteur de la situation nouvelle que l’Égypte ne peut manquer d’acquérir dans un temps donné, ont travaillé de toutes leurs forces à aider et à favo riser le développement que M. de Lesseps, ou plutôt son en treprise a fait naître. C’est ainsi qu’ils se préoccupent fort de donner aux villes qu’ils supposent devoir être fréquentées par les étrangers, une extension considérable. On songea Ismaïlia pour en faire l’entrepôt des produits du Soudan. Le Caire attire beaucoup d’Européens; ses rues sont embellies, élargies, aérées, et la vieille ville disparaît peu à peu pour faire place à une ville nouvelle. De tous les côtés les travaux sont entrepris avec ardeur, et l’Égypte marche d’un pas rapide vers une civilisation tout à fait européenne. C’est là ce qui inquiète les pessimistes. « Ne comprenez-vous pas, disent-ils, que le vice-roi ne pourra se défendre d’une velléité d’indépendance le jour où, grâce au développement de son commerce, grâce à la fré quentation des étrangers, il aura fait de son pays une véri table puissance cent fois plus européenne que la Turquie ? Qui sait si ce jour-là il n’arborera pas résolument l’étendard de la révolte ! « Attendra-t-il seulement jusque-là? Ne dit-on pas, dès aujourd’hui, que le khédive a massé un corps d’armée sur la rive égyptienne du canal de Suez, et que, de son côté*, le grand-vizir se tient prêt à toute éventualité? »