26 LA TERRE DE SERVITUDE. autres. Quant à moi, je bondissais déjà par-dessus les buissons et les grandes herbes, avec la rapidité de l’antilope. Au bout d’une seconde, les éléphants, revenus de leur sur prise, se mirent à pousser d’horribles cris de rage, et je recon nus au craquement des arbustes et au clapotement de l’eau qu’ils étaient à mes trousses. Jamais, dans les plaines de l’Ou- konongo, une antilope poursuivie par un lion n’a bondi comme je bondissais alors. Il me parut un moment que cette rapidité ne me sauverait pas ; les sinistres craquements se rapprochaient de plus en plus ; en tournant la tête pour voir à quelle distance se trouvait le plus avancé de la bande, je vis qu’il n’était plus qu’à trente pas. Il me parut trois fois plus gros que nature ; ses grandes oreilles planaient comme des ailes immenses ; ses yeux brillaient comme des charbons ardents ; sa trompe était dressée comme un serpent qui va s’élancer sur sa victime; il avait le cou tendu comme la girafe quand elle est poursuivie par quel que bête de proie. Quant à ses deux défenses, longues, fortes, brillantes, oh ! qu’elles me parurent terribles en ce moment! Ses yeux rencontrèrent les miens, quand je me retournai : il poussa une espèce de ronflement aussi épouvantable que le son de la corne de guerre des Ouatoutas. Ce cri me donna des ailes ; auparavant je fuyais, maintenant je volais; et le monstre se rapprochait de plus en plus. Je ne crois pas qu’il fût à plus de quinze pieds, quand les bons tours des chasseurs d’éléphants de l’Ourori me revinrent à l’esprit. Voici ce que j’avais remarqué. Ce gros animal qui était en tête de tous les autres se trouvait aussi Je plus en dehors à ma droite ; les autres étaient à ma gauche ; leur soin principal semblait être surtout de suivre le guide de la bande. Aussitôt que j’eus fait cette remarque, je fis brusquement un crochet à droite et détalai aussi vite que mes jambes pouvaient me porter. Les éléphants passèrent, empor tés par leur élan, avec un fracas de tempête et de tonnerre.