18 LA TERRE DE SERVITUDE. pénétrait enfin dans cette immense Afrique, la terre des fables et des merveilles ; il n’avait pas seulement l’air de s’en aperce voir ; et pourtant, c’était depuis long temps son vœu le plus cher. Quand on fit halte aux bords du Kingani, Sélim se mit à pleurer amèrement. C’était donc vrai? c’en était donc fait? il avait donc laissé la maison où il avait été si heureux, pour les sables menaçants, pour les forêts de cette terre où régnait un silence de mort, de l’autre côté de la rivière ! Amir lui posa doucement la main sur la tête. « Quoi, tu pleures, mon enfant ! tu es fâché d’avoir quitté la maison, hé ! Sélim ? — Non, mon père, mais le souvenir de la maison était si doux comparé à ce pays sombre qui s’étend devant nous. On ne voit au delà de la rivière que de noires forêts, le ciel lui-même est sombre et désolé : voilà ce qui pèse sur mon cœur ! » Amir reprit tendrement : « Si la forêt semble noire et som bre, c’est parce que la nuit approche. Quand nous aurons tra versé la rivière, nous camperons sous la tente, où tu te plairas bientôt autant qu’à la maison ; tu oublieras ton chagrin et ton an goisse. Demain matin, la terre endormie s’éveillera, le soleil bril lera dans toute sa gloire, les oiseaux quitteront leurs nids et se mettront à chanter; dans les clairières tu verras paître l’anti lope rapide, et tu te demanderas avec étonnement pourquoi ton cœur était triste la veille. —Je ne pleurerai plus, dit Sélim; vois, mes yeux sont secs. » 11 avait un petit air brave en disant cela, et son père l’embrassa tendrement. Quand la caravane eut traversé le Kingani, hommes et fem mes se mirent à couper des broussailles et des branchages pour en faire une palissade. C’est un soin que ne doit jamais négliger une caravane bien conduite.