170 LA TERRE DE SERVITUDE. vages, aux blés ondoyants, à la vie des champs, si simple et si paisible; au chant des oiseaux, et même aux criailleries des perroquets. On le voit, il fallait qu’il fût bien réellement en veine de sympathie. En effet, Sélim, frère de Kaloulou, n’était plus le Sélim de Zanzibar; la douleur et la souffrance l’avaient transformé. Si gai, si léger autrefois, il était devenu rêveur, presque mélan colique. Peut-être cette mélancolie (une douce mélancolie après tout) avait-elle sa source dans de tristes souvenirs que la solitude et la réflexion suffisaient à évoquer. Ses sujets- nabituels de méditation semblaient être la mort d’un père si tendre, d’amis si affectueux, la fin tragique d’Isa et de Mous- soud, sa propre aventure et celle qui avait failli coûter la vie à Abdallah. Ce n’étaient pas là des sujets sans danger pour une jeune imagination ; heureusement que l’horreur en était adoucie par la vie paisible qu’il menait, par la tendre amitié de Ka loulou, par la société si aimable du petit Abdallah; par la ferme croyance qu’il y a un Dieu au-dessus de nos têtes, que la bonté de ce Dieu égale sa puissance, et qu’il saurait bien choisir son heure pour mettre fin aux épreuves de son serviteur. Pendant assez longtemps, Abdallah souffrit des blessures que lui avaient faites les dents aiguës du crocodile. Il fut pris d’une forte fièvre, pendant laquelle Simba, Motto, Kaloulou et Sélim se relayèrent auprès de lui. Il ne pouvait pas être question, pour Sélim et Kaloulou, de prendre le moindre plaisir, tant que leur camarade était souffrant. Pour Abdallah, la vie était aussi triste qu’elle semblait gaie à Sélim. Il manquait de tous les petits soins qu’on lui aurait prodigués à Zanzibar, et des douceurs auxquelles il était habi-