LE PALAIS DE L’OUGANDA. 285 tourner à son profit plutôt qu’au mien. — « Vous avez raison, lui dis-je; la traversée de l’Ounyamouézi m’a coûté trop de pertes et de soucis pour que je ne cherche pas un chemin moins semé d’embûches; mais les Vouaganda n’envisagent pas ma venue sous son vrai jour. D'ici à deux ou trois ans, lors que la route d’Oukori sera ouverte, et lorsque vous verrez le commerce s’établir entre votre nation et la mienne, ils appré cieront mieux les avantages de la mission que je me suis don née. La véritable naissance de l’Ouganda datera du jour où, pour la première fois, un voyageur mzoungou aura mis le pied dans le pays. De même qu’un grain de café semé dans la terre produit une abondance de fruits, de même mon arrivée ici donnera naissance à toute sorte de prospérités. * J’avais tout exprès adopté le langage figuré qui plaît à ces peu ples; aussi mon discours fut-il accueilli avec une évidente satis faction. Portant leurs mains àleur bouche etme regardant de côté, mes auditeurs témoignaient, en hochant la tête, l’admiration que leur inspirait mon éloquence ; — » Il parle bien, l'homme blanc ! » s’écriaient-ils à l’envi, se faisant écho les uns aux autres. La reine et ses ministres, s’abandonnant aux charmes du pornbé, devinrent peu à peu très-bruyants et poussaient des éclats de rire que n’admet pas un décorum tant soit peu rigide. Les petites tasses de bougou ne se trouvant plus au niveau de la circonstance, on apporta devant la reine une grande auge de bois que l’on remplit de liqueur. S’il en jaillissait quelques gouttes à droite ou à gauche, les Vouakoungou se les dispu taient à l’instant même, tantôt balayant la terre de leur nez, tantôt la grattant de leurs ongles pour ne pas s’exposer à perdre un atome de ce liquide, qui représentait à leurs yeux une faveur émanée du trône. La reine elle-même, plongeant sa tête dans l’auge, s’abreuvait à la façon des animaux immondes, et ses grands officiers tinrent à honneur de lui succéder tour à tour. L’or chestre se mit alors à exécuter par ordre un air national appelé le Milélé 1 qu’entonnèrent ensemble une douzaine d’instruments 1. Ce mot de milélé a déjà paru dans le récit du capitaine Speke comme signifiant: * joueurs de flûte; » de même que celui demoukondéri, pris dans le sens de clarinette ; il y aurait donc là quelque confusion, si nous n’avions déjà remarqué que le même vocable, dans les langues sauvages, prend tour à tour divers sens.