180 VOYAGE AUX SOURCES DU NIL. de cette magie qui nous fait retrouver notre chemin à travers le monde, — de tuer par quelque sortilège son frère Rogéro qui ré side, m’a-t-il dit, sur une montagne dominant la Kitangoulé. Les deux princes se prélassant sur nos sièges avec une indicible sa tisfaction, je n’ai pas cru indiscret de leur demander quelques renseignements plus précis et plus détaillés sur l’objet de cette étrange requête. Voici le résumé de ce qu’ils m’apprirent. Dagara, leur père, avant de mourir de vieillesse, commit l’imprudence de dire à la mère de Rogéro que ce dernier, bien que le cadet de la famille royale, avait toutes les qualités requises pour faire un excellent monarque. Saisissant au vol cette sug gestion irréfléchie, la reine en question éleva son fils dans l’idée qu’il gouvernerait un jour le pays, malgré la loi de primogéni- ture qui règle la succession au trône, — loi restreinte dans son application à ceux des enfants du roi qui sont nés depuis son avènement. Dagara mourut laissant les trois fils déjà nommés, et qu’il avait eus de trois mères différentes. Aussitôt s’élevèrent des contestations dans lesquelles Nnanaji prit le parti de Rou- manika, et Rogéro se vit expulser par ses deux aînés. Soit crainte, soit affection, il n’en avait pas moins rattaché à sa cause une bonne moitié de ses compatriotes ; et, comptant sur son in fluence, il leva une armée pour disputer l’autorité royale à ses frères. Nul doute qu’il ne l’eût emporté sur eux sans l’interven tion de Mousa qui, avec une générosité sans pareille, employa tout ce qu’il avait d’ivoire à s’assurer le concours des esclaves armés de mousquets que les négociants arabes entretenaient à Kufro. Ces puissants auxiliaires mirent provisoirement obstacle aux conquêtes de Rogéro ; mais il n’en a pas moins juré de réali ser ses projets ambitieux dès que les Arabes auront quitté le pays, et c’est en vue de ces hostilités éventuelles qu’on invoquait notre sorcellerie pour mettre lin à ses jours. Nous déclinions modestement le pouvoir qu’on nous supposait ; mais le roi, ne voyant là qu’une défaite, employa mille subterfuges pour en ar river à ses fins. Revenant sur d’imprudentes paroles, il repous sait toute idée de fratricide comme en opposition avec les mœurs du pays. — « Si je parvenais à lui livrer Rogéro, il se bornerait, respectant sa vie et même sa liberté, à lui faire crever les deux yeux pour le mettre hors d’état de nuire. » J’ai fait de mon mieux pour ramener la conversation sur un