LES RUINES. 78 » Un obstacle surtout, ô Génie! a profondément frappé ma pensée : en portant mes regards sur le globe , je l’ai vu partagé en vingt systèmes de cultes différons : chaque nation a reçu ou s’est fait des opinions religieuses opposées ; et chacune, s’attribuant exclusivement la vé rité , veut croire toute autre en erreur. Or si, comme il est de fait, dans leur discordance, le grand nombre des hommes se trompe, et se trompe de bonne foi, il s’ensuit que notre esprit se persuade du mensonge comme de la vérité ■ et alors, quel moyen de l’éclairer? Comment dissiper le préjugé qui d’abord a saisi l’esprit? Comment, surtout, écarter son bandeau, quand le premier article de chaque croyance, le premier dogme de toute religion, est la proscription absolue du doute, P interdiction de l’examen , l’abnégation de son propre jugement? Que fera la vérité pour être reconnue ? Si elle s’offre avec les preuves du raisonnement, l’homme pusillanime récuse sa conscience ; si elle invoque l’autorité des puissances célestes, l’homme préoccupé lui oppose une autorité du même genre, et traite toute innovation de blasphème. Ainsi l’homme, dans son aveuglement, rivant sur lui- même scs fers, s’est à jamais livré sans défense au jeu de son ignorance et de ses passions. Pour dissoudre des en traves si fatales, il faudrait un concours inouï d’heureu ses circonstances; il faudrait qu’une nation entière, guérie du délire de la superstition, fût inaccessible aux impul sions du fanatisme ; qu’affranchie du joug d’une fausse doctrine, un peuple s’imposât lui- même celui de la vraie morale et de la raison; qu’il fût à la fois hardi et pru-