CHAPITRE XIV. 77 servitude. Dans le Nord, je ne vois que des serfs avilis , des peuples troupeaux , dont se jouent de grands pro priétaires. Partout l’ignorance, la tyrannie, la misère , ont frappé de stupeur les nations; et des habitudes vi cieuses , dépravant les sens naturels , ont détruit jusqu’à l’instinct du bonheur et de la vérité : il est vrai que dans quelques contrées de l’Europe, la raison a commencé de prendre un premier essor , mais là même , les lumières des particuliers sont-elles communes aux nations ? L’ha bileté des gouvernemens a-t-elle tourné à l’avantage des peuples ? Et ces peuples qui se sont policés, ne sont-ils pas ceux qui, depuis trois siècles, remplissent la terre de leurs injustices ? ne sont-ce pas eux qui, sous des pré textes de commerce, ont dévasté l’Inde, dépeuplé un nou veau continent, et soumettent encore aujourd’hui l’Afri que au plus barbare des esclavages? La liberté naîtra-t-elle du sein des tyrans, et la justice sera-t-elle rendue par des mains spoliatrices et avares ? O Génie ! j’ai vu les pays civilisés, et l’illusion de leur sagesse s’est dissipée devant mes regards : j’ai vu les richesses entassées dans quelques mains, et la multitude pauvre et dénuée: j’ai vu tous les droits, tous les pouvoirs concentrés dans cer taines classes, et la masse des peuples passive et précaire : j’ai vu des maisons de prince , et point de corps de na tion ; des intérêts de gouvernement, et point d’intérêt ni d’esprit publics : j’ai vu que toute la science de ceux qui commandent consistait à opprimer prudemment ; et la servitude raffinée des peuples policés m’en a paru plus irrémédiable.