76 LES RUINES, afin d’ctre d’accord dans ses opinions, et l’homme de bonne foi supporte la contradiction, parce qu’elle fait naître l’évidence. La violence est l’argument du men songe ; et imposer d’autorité une croyance, est l’acte et l’indice d’un tyran. » Enhardi par ces paroles : « O Génie, répondis-je , puisque ma raison est libre, je m’efforce en vain d’ac cueillir l’espoir flatteur dont tu la consoles : l’ame ver tueuse se livre aisément aux rêves du bonheur, mais sans cesse une réalité cruelle la réveille à la souffrance et à la misère : plus je médite sur la nature de l’homme, plus j’examine l’état présent des sociétés, moins un monde de sagesse et de félicité me semble possible à réaliser. Je parcours de mes regards toute la face de notre hémi sphère ; en aucun lieu je n’aperçois le germe, ou ne pres sens le mobile d’une heureuse révolution. L’Asie entière est ensevelie dans les plus profondes ténèbres. Le Chi nois , avili par le despotisme du bambou , aveuglé par la superstition astrologique, entravé par un code im muable de gestes, par le vice radical d’une langue et surtout d’une écriture mal construites, ne m’offre , dans sa civilisation avortée, qu’un peuple automate. L’Indien, accablé de préjugés, enchaîné par les liens sacrés de ses castes, végète dans une apathie incurable. Le Tartare, errant ou fixé, toujours ignorant et féroce, vit dans la barbarie de ses aïeux. L’Arabe, doué d’un génie heureux, perd sa force et le fruit de sa vertu dans l’anarchie de ses tribus et la jalousie de ses familles. L’Africain, dégradé de la condition d’homme, semble voué sans retour à la